8 récits de vie où le drame a frappé. 8 situations où les proches se mobilisent pour affronter une maladie, un accident ou un handicap. 8 témoignages qui explorent le lien dans sa diversité et ses ressorts secrets.
Pendant 18 mois, Nicole von Kaenel a interrogé des couples et des familles qui ont vécu un drame changeant leur vie à jamais. Par une approche douce et empathique, elle a recueilli des confidences lumineuses et bouleversantes. La photographe Sarah Carp a accompagné Nicole. Elle a pris, dans le décor familier des personnes qui ont accepté de témoigner, des portraits d’une remarquable vérité psychologique. En vraies complices, les deux auteures nous donnent un livre où l’image et le texte se répondent subtilement en des pages animées, à la fois graves et gaies.
L'AUTEURE S'EXPLIQUE…
A l’âge de 15 ans, alors que je me rendais chez une amie, mon scooter est tombé en panne. J’ai fait du stop, deux hommes souriants m'ont pris à bord de leur voiture. C'était des prédateurs, de l'espèce qui ne supporte pas qu'une femme dise «non». Cet événement a sensiblement modifié mon parcours de vie. J’étais ébranlée, mais je gardais confiance en l’humanité. Un brin rousseauiste. J'ai passé une partie de ma vie à chercher à comprendre ce qui permet à un être humain d’être à la fois bienveillant et pervers. J'ai décidé que je n’allais pas me replier sur moi-même, mais au contraire me tourner vers les autres. Des professeurs, des parents d’amis, un pasteur ont participé à ma reconstruction. Avec le recul, je constate que leur soutien a été capital. Pourtant, je n’avais mis personne dans la confidence. A partir de là, j’ai essayé de comprendre ce qui se noue dans les relations, au-delà des rôles que la société ou le monde professionnel nous attribuent. L’homme dans sa pluralité, sa complexité, ses dichotomies, me passionne. Je ne suis pas une intellectuelle. Petite-fille de paysan, mes racines profondes viennent de la terre. Un champ de blé, la pluie qui arrive trop tôt: le village se mobilise. Le fils de la ferme voisine est malade, sa mère est aux champs : ma grand-mère reste à son chevet. Simple et spontané. Sans trahir mes origines, je suis devenue citadine: Gymnase à Lausanne, une passion pour la musique et la culture. C'est naturellement que je suis devenue responsable des relations publiques à l’Opéra de Lausanne sous la direction de Renée Auphan, puis aux Festivals de la Cité, du Rire de Montreux, d’Opéra d’Avenches. Suivront aussi plusieurs mandats de communication pour la Ligue vaudoise contre le cancer, le CMS Nord Vaudois, l’AVASAD, plusieurs sociétés privées. J’ai beaucoup écrit. J’ai rédigé des textes sur les plus grands ténors et leur fragilité, sur des artistes éclatants et déchirés. Sur des directeurs de salles ou d’entreprises pugnaces et blessés. Sur des hommes et des femmes qui pouvaient être à la fois sublimes et perdus. Le projet Destins croisés est né d’une autre expérience personnelle : le soutien apporté à ma mère atteinte d’Alzheimer. J’ai mesuré à cette occasion la richesse et l’importance de la relation d’aide – celle qui se révèle entre proches, modifiant le sens et le contenu du lien. Membre de la fondation Alzheimer, j’ai suivi le cursus proposé pour les proches aidants. J’ai ainsi pu soutenir ma mère avec une meilleure connaissance de sa pathologie. J’ai aussi appris le pardon : face à une mère égocentrique et distante, les rôles s’inversaient et j’ai réussi à l’aimer dans sa maladie. J’ai alors pensé à un livre et une exposition qui réuniraient huit situations «aidants-aidés » permettant d’explorer les mille et une facettes de ces relations au travers de récits de vie, intimes sans voyeurisme, émouvants sans pathos, révélateurs sans théorie. Je voulais aussi que ces textes dialoguent avec des portraits photographiques, que les récits trouvent, pour le lecteur, une incarnation visuelle révélant des personnalités dans leur irréductible originalité. La collaboration avec la photographe Sarah Carp a été riche de complicité et d'échanges. Nous avons le même ressenti face à la relation, et les portraits qu'elle réalise répondent, dans leur vérité, aux confidences que j'ai recueillies. Je savais que ma démarche supposait une approche douce et lente – souvent les personnes interrogées ne se livrent vraiment qu’au deuxième ou au troisième entretien – et qu’il faudrait à chaque fois trouver la limite subtile entre ce qui peut être dit ou non dans le dévoilement de l’intime. J’allais aussi avoir besoin du soutien de personnes qui pourraient me faire rencontrer les témoins disposés à parler de leur relation à visage découvert. Il fallait donc convaincre. J’ai voulu le faire par l’exemple. J’ai rédigé, une relation «transposée» entre ma mère et mon fils. Ces quelques pages ont été lues par des amis, des médecins (généraliste, gériatre, rhumatologue, psychiatre), des acteurs des soins à domicile. Leurs réactions ont été si favorables que l’étape suivante allait de soi: créer une structure qui encadre ce projet d’empathie, de questionnement, d’hommages et d’interrogation sur soi. C’est ainsi qu’est née l’Association Belles Pages, formée de membres très investis dans le projet. J’ai vite pris conscience que la relation d’aide n’était pas uniquement bilatérale: souvent, toute une famille est impliquée dans la vie quotidienne lorsqu'une maladie ou un accident vient perturber le cours normal des jours. J'ai aussi pu mesurer l'importance du lien qui se noue avec les professionnels de la santé et du social. J'ai été émerveillée de la manière dont les familles ont accepté de se dévoiler, par un discours très réfléchi et sans fausse pudeur. La confiance quelles m'ont témoigné me va droit au cœur et m'a convaincue de l’utilité du projet.
Nicole von Kaenel
8 récits de vie
JULIEN ET SA FAMILLE
Un enfant IMC manifeste une extraordinaire capacité de vie et d’échange entouré par sa famille et ses thérapeutes
Enfermé dans son corps Les émotions de Julien sont intactes et puissantes. Il aime et déteste avec passion. Ses joies s’expriment par des éclats de rires et une lumière dans les yeux que tout le monde remarque. La douleur, l’inconfort, la peur se traduisent souvent par des spasmes ou des vomissements incontrôlables. Intensément vivant, il se trouve comme enfermé dans un corps qui lui refuse les moyens d’action et de communication que nous utilisons tous les jours sans y penser.
Le rituel de Julien et Vincent Julien aime son père. Le soir, lorsqu’il l’entend garer la voiture, il pousse des cris de bonheur. Vincent sait que son fils l’attend avec impatience, il ne peut le décevoir. Alors pour ce père commence un cérémonial qui varie selon les jours : il traîne les pieds derrière la porte, il entre en faisant semblant de s’évanouir et se rattrape de justesse au portemanteau. Julien exulte. Vincent le prend dans ses bras, le soulève et l’embrasse. Ainsi enlacés, ils sont seuls dans un monde où n’existe que la joie d’être ensemble.
Juste équilibre Malgré les secousses de l’existence, le couple tient bon. Georgina et Vincent restent unis, solides. Ils se parlent, rient beaucoup, ils jouent la même partition. Ils veulent une famille où le handicap de Julien ne prenne pas toute la place. Où chacun se sente aimé et respecté pour qui il est. Georgina cherche le juste équilibre : être pour Julien une maman et non une maman-thérapeute. Que chacun de ses enfants reçoive l’attention et l’amour dont il a besoin. Des rêves pour Julien ? « Qu’il sache qu’il est aimé, au fond de son être. Qu’il sache qu’il est précieux, du bout de ses ongles jusqu’en haut de sa tête. Qu’il n’a pas été créé par erreur. Qu’il n’est pas une demi-personne, mais qu’il existe une raison unique de sa présence sur cette terre. Que nous trouvions les moyens pour qu’il puisse communiquer et aider les autres à mieux se comprendre. »
LOLI ET MANU
Au sein d’un couple magnifique, une femme souffrant de graves crises de dépression, soutenue par son mari, devient à son tour proche aidante quand celui-ci développe un cancer
L’abîme s’ouvrait devant moi « Cette électricité qui m’envahissait était le prélude à une chute qui naissait au plus profond de moi. J’essayais de résister, de me secouer comme on dit, mais la fatigue m’étourdissait, je n’avais qu’une envie, me glisser dans mon lit et dormir... Ne plus me réveiller, ne plus affronter mes démons qui jaillissaient, j’étais happée dans cette spirale, je tentais d’en sortir, mais je m’enfonçais doucement, attirée dans une torpeur aussi inquiétante que reposante. Et là je disparaissais, l’abîme s’ouvrait devant moi, j’y plongeais, que pouvais-je faire d’autre ? »
Soudain Loli s’éteint « A mes yeux Loli est la plus belle femme au monde, je l’admire dans sa facilité de contact, j’aime la voir travailler au jardin, réunir une dizaine d’amis à notre table, fêter Noël en juin. C’est une femme exceptionnelle. Mais il y a un revers à son enthousiasme, à cette soif de vivre : soudain, Loli s’éteint. »
Relâcher la pression « Lorsque nos deux parents étaient hospitalisés, c’était la course : aller voir ma mère, passer chercher ma grand-mère pour se rendre au CHUV, visiter notre père, raccompagner ma grand-mère qui pleurait... Au retour de nos périples, nous baissions les vitres de la voiture et nous chantions à tue-tête. Une façon de relâcher la pression. Nous aimons toutes les deux le footing. En guise de thérapie, chaque soir nous courions plus de dix kilomètres. Après on dormait comme des souches. » Me délecter de la vie « Lors de ces trois épisodes, je me souviens que j’accusais une grande fatigue. Je dois prendre davantage soin de moi, ne pas trop tirer sur la corde. Il est vrai que j’en fais beaucoup. La vie semble m’appeler sans cesse à de nouvelles rencontres. Je vais apprendre à me reposer. Je ne peux dire que j’ai peur de retomber dans cet enfer, j’y pense souvent, mais je veux aussi oublier, me délecter de la vie… Y arriverai-je ? C’est un vrai défi, je vais le relever. »
ANNA ET ALESSANDRO
Une proche aidante face à la sclérose en plaques de son mari, avec le soutien de deux sœurs aussi présentes qu’aimantes
Gravé dans ma mémoire « Cet instant est gravé dans ma mémoire : nous sommes assis devant le bureau du médecin. Celui-ci demande à Alessandro de se lever, il s’exécute en boitant et en se tenant les reins. Le spécialiste lui fait passer un examen neurologique complet, frappant doucement les genoux, les talons et les chevilles avec un petit marteau. Il lui demande de se déplacer les yeux fermés, en levant les bras, en les dressant devant lui, en touchant son nez avec les mains. Il reste silencieux pendant la durée de l’examen, puis lâche : “ Cher Monsieur, je suis sincèrement désolé mais tout porte à croire que vous avez la sclérose en plaques. ” »
Prendre mes jambes à mon cou « Au sortir de ce temps de chagrin, j’ai décidé de repeindre l’appartement avec des couleurs vives et gaies. J’ai aussi beaucoup jeté, je ne voulais pas m’encombrer de souvenirs. J’ai repris le travail très vite, je ne servais à rien, il ne me parlait pas. Je dois avouer qu’au début, j’avais la hantise de rentrer à la maison. L’idée m’effrayait de voir Alessandro diminué, de savoir que je mangerais en silence, avant de commencer à lui prodiguer les soins nécessaires. Prendre mes jambes à mon cou. Fuir. »
Pourquoi moi ? « Parfois, elle me dit sa colère : “ Pourquoi moi ? pourquoi lui ? ” Je réponds invaria-blement : “ C’est parce que tu es forte que Dieu t’a envoyé cette épreuve. Je n’aurais pas pu me sacrifier comme tu le fais. ” Mes sœurs et moi n’avons pas été élevées dans la plainte. Si une situation ne nous convient pas, on n’a qu’à en changer, point. Et Anna pique des colères, mais elle ne se plaint jamais : elle assume cette fatalité. »
Une grande et belle personne « Je l’aime tant, ce qu’elle vit me désole. Anna, c’est notre pilier. Peut-être parce qu’elle est l’aînée, elle se soucie de Iolanda et moi : elle nous écoute, nous conseille. Sa générosité n’a pas de limites. Anna est une grande et belle personne qui mérite une autre vie. »
SIMONE ET JOHNNY
L’engagement total d’une mère et d’une famille pour un enfant opéré à trois ans d’une tumeur au cerveau et qui vient de décéder à trente-sept ans d’une récidive
Pouvoir encore le protéger Johnny, son fils de trente-six ans, est à côté d’elle dans son fauteuil roulant. Simone ne le quitte pas des yeux, elle lui parle, le réprimande, le cajole. Dans ses mots coule un flot de sentiments mélangés, amour, colère, détresse, mais aussi le bonheur de pouvoir encore le gronder, le protéger. A la cafétéria de la SUVA, elle lui achète une glace ; il aime le goût du café, même s’il doit s’abstenir de déglutir, son alimentation passant désormais par un drain relié directement à son intestin. Mais déjà la glace coule sur le pantalon, goutte jusqu’au sol, mollement retenue par les bords de la table. Simone, entre mots doux et reproches, nettoie, frotte la table avec un chiffon impégné. Elle passe un gant de toilette sur le visage de son fils, répétant chaque geste comme si c’était le dernier. Johnny l’écoute attentivement. S’il peut parler, il ne le fait presque plus.
Je l’ai senti revivre en moi Johnny s’en est allé le samedi 23 juin 2018 à 13 heures. C’est la fin du chemin. Johnny pourtant n’aura cessé de se battre. Ce 23 juin, alors qu’il est à nouveau tombé, il est dans le coma aux urgences de l’hôpital de Sion. Il s’endort paisiblement entouré de ses parents, de sa sœur et de ses neveux. Katy dit : « Johnny est parti et il nous manque déjà. Sa vie a été difficile mais il nous a beaucoup appris. Tous ces moments de silence partagés avec mon frère m’ont permis d’échanger tellement d’amour avec lui... C’était une belle personne. » Simone se tient droite dans la robe noire achetée avec sa petite fille. « Lorsque Johnny est mort, nous l’avons veillé. Dans ma tête je faisais le compte à rebours, il ne me restait plus que vingt-quatre heures pour le toucher, pour l’embrasser, puis plus que douze heures, puis plus qu’une heure avant que le couvercle ne se referme sur son corps. Et cet instant de séparation définitif qui approchait faisait soudain écho à la voix de l’infirmière qui me soufflait, trente-six ans plus tôt : “ Plus qu’une heure, courage Simone, dans moins d’une heure vous serez libérée, votre enfant aura quitté votre corps. ” La boucle est bouclée, je sens que Johnny est retourné d’où il est venu. Au moment où le cercueil s’est fermé, je l’ai senti revivre en moi. Un accouchement à l’envers. Je suis en paix. »
SARA ET SON PÈRE
Proche aidante de son père atteint d’Alzheimer, une femme énergique gère sa famille, son salon de coiffure et le maintien à domicile de son parent diminué
Descendre un grand escalier « La maladie de mon père, je la vois comme un grand escalier, mon père descend une marche qu’il ne remontera plus. Une à une les lumières s’éteignent. Son cerveau devient de plus en plus sombre et laisse place à une sorte de paranoïa. Maintenant, il a peur de tout. S’il lit un article parlant d’une arrestation, il est certain que la police va venir le chercher. Une inondation au téléjournal, il voit déjà son appartement prendre l’eau.La misère le hante. Ces malheurs, il les déplore et les subit, il panique. Je dois plus qu’avant le rassurer. Je sens naître une méfiance, comme si soudain je pouvais devenir son ennemie. Je dois rester prudente, ne pas le brusquer, le rassurer davantage. »
Nous leur avons demandé d’ouvrir l’œil « Nous habitons Vevey depuis longtemps ; si mon mari connaît la moitié de la ville, je connais l’autre moitié. Nous avons alerté nos amis, nos connaissances, nous leur avons demandé d’ouvrir l’œil. Un jour mon père est parti seul en direction de la gare. Il n’a pas été loin : j’ai reçu deux appels, le premier de ma fille qui avait vu son grand-père et s’inquiétait, le second d’une amie qui me disait de ne pas m’affoler. Elle a pris mon père et gentiment elle s’est dirigée vers mon salon de coiffure. Vevey est un grand village. »
Ne t’en fais pas, je suis là « J’étais paniqué, j’ai appelé ma sœur en Italie. C’est terrible de ne pas savoir quoi faire face à la souffrance de son père. Je me suis senti proche de lui comme jamais. Je l’ai pris dans mes bras. Ses 70 kilos collés contre moi, son pouls rapide, son angoisse. Aucun son ne sortait de sa gorge nouée. J’avais envie de hurler : “ Papa je t’aime, ne t’en fais pas, je suis là, je suis là juste à côté de toi, tout va s’arranger. » Comment continuer ainsi ? « Ma mère, c’est ma proche aidante. Elle ne me fait jamais faux bond, c’est mon dernier rempart avant l’épuisement. Le CMS nous a apporté une liste d’établissements médicosociaux. Je ne souhaite pourtant pas qu’il termine sa vie loin de nous, mais comment continuer ainsi ? »
RENÉ ET MIMI
Avec son épouse, une force de la nature affronte une tétraplégie d’origine infectieuse avec un courage et une résilience uniques
René est loin, très loin Elles sont autour du grand lit blanc, la mère, les deux sœurs : le médecin parle. C’est une tétraplégie d’origine infectieuse. Bien sûr Patricia comprend chaque mot, sa sœur Fabienne également, mais elles ne peuvent pas entendre l’impensable : « Il n’est pas certain que votre père s’en sorte. » Aux soins intensifs, on lui fait une trachéotomie pour faciliter la respiration. Il va être opéré encore une fois. René est affaibli, il délire, parle de moutons près d’une barrière. Ses femmes le réconfortent, les deux filles ont préservé leur mère, Mimi ne sait pas toute l’importance que va revêtir cette longue nuit. Elles laissent le chagrin s’échapper par des sanglots à peine retenus. René est loin, très loin, mais son corps lutte.
Mon rêve ? pouvoir marcher dix mètres « J’ai accepté ma situation, il m’a fallu du temps car devenir tétraplégique suite à un staphylocoque, ça vous plonge dans une colère noire. Cette saloperie est entrée en moi il y a dix-huit mois. Maintenant je suis devenu plus philosophe. Ce qui me permet de ne pas sombrer, c’est le sentiment d’avoir eu une vie remplie, un travail que j’aimais, deux filles et surtout une femme adorable. Les rôles se sont inversés : maintenant, c’est elle qui me soutient, c’est ma proche aidante, sans elle je serais foutu. Je vais continuer à me battre pour récupérer plus de mobilité. Mon rêve ? Pouvoir marcher dix mètres, ce qui me permettrait d’aller chercher le sécateur à l’établi sans aide ! »
L’homme du poème de Kipling « Mon père, je le vénère depuis toute petite. C’est lui qui a indiqué le chemin, qui m’a soutenue dans mes choix. Il avait toujours une vision juste et sage des choses. Mon père faisait partie de la gendarmerie du lac et à mes yeux, ça le rendait invincible. J’étais et je suis encore fière de lui. Dans l’épreuve qu’il vit, il est resté fidèle à lui-même, il a pris cette tragédie avec calme, acceptant les traitements, les mois d’hospitalisation, une rééducation difficile. Il ne s’est jamais plaint. Mon père c’est l’homme du poème de Kipling. Oui, je l’ai idéalisé, il dégage une force hors du commun. »
DIANE ET PAULETTE
Une jeune femme de 23 ans, après un terrible accident de voiture, reconstruit petit à petit une nouvelle vie grâce à sa mère et à ses amis
Déjà l’hélicoptère fend l’air Dans la nuit, les pompiers tronçonnent la voiture pour sortir Diane inanimée, la tête fracassée. Ils appellent le CHUV, c’est une urgence vitale. Déjà l’hélicoptère fend l’air dans une aurore radieuse. Cette journée s’annonce belle. Au CHUV, l’équipe chirurgicale est prête depuis de longues minutes. Une équipe soudée, rodée à ce type d’opération dont on ne connaît pas l’issue. La tension est palpable, dans un silence oppressant les mains sont en mouvement devant le corps inerte. Les chirurgiens décalottent le cerveau. Devant l’importance de l’hématome, ils sont obligés d’extraire l’os cervical. Ils le mettent dans un congélateur. Un voile est déposé sur le cerveau à vif.
Maman, c’est où Sion ? Diane a rejoint la clinique de réadaptation de la SUVA il y a neuf mois. « Maman, c’est où Sion ? C’est là que je suis maintenant ? C’est pour aller mieux que je suis là ? » Paulette répond avec patience : « Tu es là pour progresser, tu as vécu une terrible épreuve et tu dois te reconstruire, lorsque je te regarde, je suis si fière de toi. J’ai eu tellement peur. » « Peur de quoi ? » Diane est soudain sur la défensive, la peur de sa mère l’agace. Le choc post-traumatique ainsi que les séquelles cognitives provoquent des passages de l’euphorie à la tristesse en l’espace d’une seconde. Tantôt la colère, tantôt le besoin d’être aimée.
J’aimerais devenir quelqu’un « J’ai retrouvé la joie de vivre, j’ai moins de colère, je n’ai plus de pensées suicidaires. J’aime écouter de la musique, n’importe laquelle pourvu que ça bouge. Je voudrais tant danser comme avant. Mais je ne marche toujours pas. Cet accident m’a changée, je pense que j’ai gagné en empathie. Je veux me battre pour marcher à nouveau, mais j’aimerais aussi être un exemple de lutte et de courage. Je dis ça, mais parfois j’ai envie de mettre fin à mes jours, je pense que c’est normal. Avoir la même vie qu’avant, je pense que c’est possible, et le lendemain, parce que je ne suis pas parvenue à faire un exercice, j’ai juste envie d’abandonner. J’aimerais reprendre les études au plus vite, parfaire mes connaissances. J’aimerais devenir quelqu’un. »
ARIANIT ET LES SIENS
Un jeune adulte, face à l’autisme et à une myopathie déclarés dans l’enfance, révèlent la puissance et le bonheur des liens familiaux
Sombrer dans l’inconnu « C’était intolérable de voir notre enfant sombrer dans le monde inconnu de l’autisme. C’était intolérable de voir un tel désarroi dans son regard. J’étais impuissant, désemparé, et lorsque je le regardais, ses grands yeux semblaient me dire : “Papa, aide-moi, tu as le pouvoir de me faire redevenir comme avant !”»
Le monde s’écroule Pour Behajdin et Fatmira, le monde s’écroule. Ils savent qu’ils vont faire face, ils savent qu’ils se battront eux aussi avec toute leur énergie, mais au CHUV l’annonce de la myopathie de Duchenne est tombée. Les larmes jaillissent, Fatmira s’accroche à son mari, anéantie. Juste un moment où le chagrin explose, irradie le corps et l’âme. Demain, ils commenceront la lutte.
Nous prenons la vie comme elle vient « Depuis quelques mois, je sens mon mari plus serein, nous prenons la vie comme elle vient. Arianit est toujours avec nous, nos autres enfants sont en pleine santé, je me dis que la vie ne nous a pas épargnés, mais elle nous a offert aussi des moments de joie magnifique. Avoir un enfant handicapé modifie votre regard, chaque instant est précieux, on ne se préoccupe pas des voisins ; nous évitons de nous regarder le nombril, de parler de nous et de nos petites misères. On n’a pas de temps à perdre. »
Instantanés du bonheur Arianit, Fatmira, Albulena, Albert et Behajdin sont réunis. Sarah est là aussi. C’est le grand moment des photographies. Le ciel est d’azur, comme il l’a été jour après jour pendant ce mémorable été 2018. Chacun prend la pose à tour de rôle, puis c’est le couple, la fratrie, les parents avec les enfants. Avec dextérité, Arianit amène son fauteuil à la place demandée par Sarah. Il est attentif à tout, fixe tantôt l’objectif, tantôt les autres membres de sa famille. Les prises de vues s’enchaînent, captant les regards, les sourires, les rires, les gestes de connivence et d’amour. Il sera bien difficile de choisir, pour le livre, entre tant d’instants précieux.
Pages intérieures: un chapitre
le livre est disponible au prix de CHF 28.– port compris!
Format 160 x 220 mm 232 pages 63 photographies en quadrichromie
Avant-propos de Pierre-Yves Maillard Textes de Nicole von Kaenel Photographies de Sarah Carp